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À midi, lors du déjeuner, un gouffre avala son amour si pur, si grand.
            L’autre avait posé sa main sur l’épaule de Pauline lui offrant l’idéal
            masculin dont rêvent les jeunes filles. Ce gosse de ville avec son air de
            supériorité, ses « moi, je », ses « moi j’ai fait ceci et cela », ses « moi,
            je ferai », ces réflexions insipides avaient dressé un mur entre l’amour vrai
            d’Alban, les seuls muscles en pleine forme du voleur de cœur étaient ceux
            de ses joues. Ils fonctionnaient sans interruption. Jamais las de parler,
            jamais las de papillonner, il avait mis toutes les filles de sa classe à ses
            pieds, Pauline en tête. Elles étaient émerveillées par les exploits du jeune
            Robert. Natives pour la plupart des hauteurs, la vie urbaine leur était
            totalement  inconnue.  Il  avait  enjolivé  à  outrance  le  peu  d’activités
            physiques  qu’il  réalisait  durant  sa  semaine  de  vacances.  De  plus,  il
            s’attribuait les performances et les réussites de ses camarades. Personne
            pour contredire ses dires. Un bluffeur professionnel. Sans état d’âme.


            Dès le premier regard, Alban avait détesté ce voleur, mais encore plus
            le jour où Pauline et Robert se marièrent. Avant l’ultime rupture entre
            les deux amis, les tentatives pour convaincre Pauline de son erreur furent
            vaines. Alban avait pleuré, ce jour-là, seul dans sa montagne ! Durant
            une semaine il s’était enfermé dans un mutisme total. Les habitants du
            village l’avaient soutenu dans ses démarches de reconquête. Échec total.
            Pauline était aveuglée par un faux amour, un beau parleur. Petit à petit,
            elle s’enfonça dans l’isolement le plus total.


            Ses amis attendent son réveil. Quinze années se sont écoulées depuis le
            jour du mariage de l’inimaginable, de l’impensable. À seize heures dix-
            huit,  ce  jour,  l’espoir  renaissait.  Le  brouillard  était  encore  épais.
            Qu’importe, elle était là devant ses yeux la petite fille de ses rêves, le
            visage ravagé par les larmes ! Ce n’était pas le moment de la rejeter,
            l’heure était venue de la prendre dans ses bras.

            Elle ôta son anorak, le café l’avait réchauffée. Le pull-over blanc de style
            irlandais sur son jean noir la rendrait irrésistible, sexy, sensuelle. Alban
            a des pulsions sexuelles qu’il maîtrise mal. Ses mains dans les poches
            de  son  pantalon  se  crispent.  Sa  main  droite  écrase  le  mouchoir  en
            cellulose. Trop, c’est trop. Il n’en peut plus de souffrir. Bon sang, si



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