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24. César ne connaissait que trop cette nation perfide, toujours habile
à feindre les sentiments qu'elle n'a pas ; cependant il jugea à propos
de céder à leur demande, persuadé que s'ils pensaient véritablement
ce qu'ils disaient, le prince, après son départ, demeurerait fidèle ; ou
que si, comme cela était plus conforme à leur naturel, ils ne voulaient
un roi que pour en faire leur chef dans cette guerre, il y aurait pour lui
plus de gloire et d'honneur à avoir affaire à un roi qu'à un ramas
d'aventuriers et d'esclaves. Ainsi, après avoir exhorté ce jeune prince
à bien ménager le royaume de ses pères ; à sauver sa belle patrie
que ravageaient le fer et la flamme ; à ramener ses sujets à la raison
et à les maintenir dans de sages sentiments ; enfin à rester fidèle au
peuple romain et à César qui avait en lui une telle confiance qu il le
rendait à ses ennemis armés : tenant dans sa main la main du jeune
roi qui était déjà grand, il voulut prendre congé de lui. Mais le roi,
savant dans l'art de feindre, pour ne pas dégénérer du caractère de
sa nation, commença par prier César, en pleurant, de ne pas le
renvoyer : "Il lui serait moins doux, disait-il, de régner que de jouir de
la présence de César." Après avoir essuyé les larmes du jeune
homme, César, ému lui-même, l'assura que s'il était sincère, ils
seraient bientôt réunis, et le renvoya vers les siens. Mais ce prince,
comme échappé de prison, dès qu'il fut en liberté, se mit à faire à
César une guerre furieuse, de telle sorte qu'on pouvait croire que les
larmes qu'il avait versées dans cette entrevue étaient des larmes de
joie. Plusieurs, parmi les lieutenants, les amis, les centurions et les
soldats de César, n'étaient pas fâchés de ce qui arrivait, prétendant
qu'avec son excessive bonté il avait été la dupe d'un enfant ; comme
si dans cette occasion César eût agi par pure bonté et non dans des
vues pleines de prudence.
25. Les Alexandrins s'étaient aperçus qu'en se donnant un chef, ils
n'en étaient pas devenus plus forts ni les Romains plus faibles. Ils
virent avec un vif chagrin que les troupes méprisaient la jeunesse et
l'incapacité de leur roi, et que tous leurs desseins échouaient. Le bruit
s'étant répandu que l'on amenait à César de grands secours de Syrie
et de Cilicie (ce dont César lui-même n'avait pas encore été informé),
ils résolurent d'intercepter les convois qui nous venaient par mer. À
cet effet, ayant fait partir des vaisseaux et mis plusieurs navires en
embuscade vers Canope, ils se préparaient à surprendre nos
convois. Dès que César en est instruit, il fait armer et partir sa flotte
sous la conduite de Tibérius Néro. Elle est accompagnée des
vaisseaux rhodiens, commandés par Euphranor, sans lequel il ne
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