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Sa situation de célibataire ne semblait pas le tracasser. Il était
            l’homme de la famille, il assumait son rôle, abattait les arbres,
            récoltait  les  régimes  de  palme,  les  femmes  s’occupant  de
            l’extraction  de  l’huile,  il  débroussaillait,  chassait  et  pêchait  ;
            allait parfois à la gare vendre poissons et gibiers aux heures des
            passages des trains. Car les voyageurs profitaient de ces arrêts
            pour  se  ravitailler.  Ces  activités  semblaient  en  apparence
            combler son existence, en tout cas, il s’en accommodait et ne se
            plaignait jamais.


            Compte tenu de leur filiation, Bokito et Kobiyo étaient parents.
            Les deux cousins se détestaient depuis leur tendre enfance ; la
            détestation se mua en haine le jour où Bokito avait traité Kobiyo
            d’âne bâté et de bâtard. Il s’ensuivit une rixe. Bokito était plus
            âgé et nettement plus costaud. Il en profita pour administrer une
            sévère raclée à son cousin. « Ne t’en fais pas, je te le revaudrai
            un  jour  »,  grommela  Kobiyo  la  bouche  en  sang  et  le  visage
            tuméfié. « Quand tu veux », répliqua l’autre.

            Pendant  des  années,  Kobiyo  avait  ruminé  sa  vengeance  ;
            maintenant qu’il était devenu un homme puissant, il avait désormais
            les moyens pour l’exercer.

            À tout seigneur, tout honneur ; le premier à être sanctionné fut son
            géniteur qu’il fit comparaître devant le tribunal correctionnel ; les
            chefs d’accusation portant sur des malversations et d’odieux trafics
            d’os d’albinos ! Le pauvre homme incarcéré pendant plusieurs mois
            à la prison centrale où il avait été transféré ne dut son salut qu’à son
            état de santé déplorable. Il fut renvoyé chez lui et déchu de toutes
            ses  prérogatives  de  chef  de  village.  C’est  Kobiyo  qui,  de  facto,
            détenait  désormais  le  pouvoir.  Les  transactions,  les  plaintes,  les
            litiges, c’est lui qui les réglait. Les sentences étaient exécutoires et
            sans recours.


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