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en s’initiant aux us, codes et servitudes de la vie tribale. De toute
façon, l’étranger n’était là que pour un certain temps ; il finira
bien par rentrer chez lui ; c’est un épiphénomène qui allait bien
sûr se déliter ; ce n’est qu’une parenthèse et l’histoire reprendra
son cours normal pensaient-ils.
On fourgua donc aux recruteurs ceux des enfants les moins
protégés socialement ou jugés inaptes à franchir avec succès les
épreuves imposées, pour faire partie des héritiers et des gardiens
de la tradition.
Cette manière d’appréhender l’avenir aura plus tard, des
conséquences dramatiques dans la mesure où, au fur et à mesure
que l’autorité coloniale consolidera sa domination, on verra le
rapport des forces s’inverser en faveur de ces laissés pour compte
qui, parlant désormais la langue de l’étranger et leurs propres
dialectes, constitueront le chaînon indispensable entre la
population indigène et l’occupant. Alliés des colonisateurs, ils
dirigeront le pays en hommes-liges, ne laissant à certains chefs
traditionnels qu’un pouvoir tellement réduit à la portion congrue,
que ceux-ci en arriveront parfois, par orgueil ou par désespoir, à
déclencher des révoltes impitoyablement matées sans état d’âme,
dans des bains de sang, par les soudards et les supplétifs de
l’armée des envahisseurs devenus les maîtres du pays.
Les années de formation des futurs cadres furent particulièrement
pénibles. Les apprentissages de la langue étrangère, de l’écriture et
du calcul furent autant d’obstacles qu’il fallut franchir à coups de
chicottes et de coups de pied aux fesses. Autant de fautes autant de
coups ! C’était le tarif. Marche ou crève ! Était la devise.
La population des élèves était très hétérogène du point de vue
des âges et des ethnies ; pour beaucoup, l’école ne tarda pas à
n’être perçue que comme un lieu de torture pour ne pas dire
l’antichambre de l’enfer. On déplorait de nombreuses désertions
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