Page 9 - Avant-postes de cavalerie légère
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            En 1812, à Polosk, à la tête de 100 chasseurs du 20 , il enlevait 24
            pièces de canon à l’ennemi, et faisait prisonnier le général en chef de
            l’armée russe.

            Eh bien ! cet homme si  vaillant, si intrépide, si adroit, si fort de
            volonté, si prompt,  si  sûr  de pensée  dans  ses entreprises  hardies,
            lorsqu’il commandait un détachement, en était à la fois le médecin,
            l’artiste vétérinaire, le sellier, le cordonnier, le cuisinier, le boulanger,
            le maréchal-ferrant, jusqu’à ce que rencontrant l’ennemi, il se montrât
            le soldat le plus remarquable de la Grande Armée.

            Lorsqu’il se présentait dans une affaire, les hommes qu’il commandait
            étaient toujours plus reposés, plus prêts à combattre que les autres et
            leur action s’en ressentait.

            Etait-ce un homme comme celui-là que l’on pouvait mesurer à la toise
            de tout le  monde, et  retenir sous  le niveau que les  médiocrités
            appuient toujours  si pesamment sur les  têtes  distinguées ? Curély
            servait depuis quinze ans et toujours en temps de guerre, lorsqu’on
            lui donna l’épaulette. Pourquoi l’avait-il attendue si longtemps ? C’est
            que ceux qui pouvaient la demander pour lui ne s’étaient pas trouvés
            d’assez  haute  taille  pour  le  reconnaître.  Il  végéta  jusqu’à  ce  qu’un
            colonel,  homme  d’une  nature  semblable  à  la  sienne,  le  jugeât  et
            renversât la barrière qui le comprimait. Son avancement rapide ne fut
            donc qu’un acte de stricte justice. Car si précédemment il avait été si
            lent, la faute en était aux autres.

            Si j’appuie sur ce fait, ce n’est que comme exemple et avertissement.
            Nulle part plus  qu’à l’armée, l’homme ne doit étudier plus
            consciencieusement  l’homme  sous  ses  ordres,  et  tirer  parti de  ses
            qualités particulières. Nulle part aussi la justice qu’il lui rend ne doit
            être plus  entière et plus  dépouillée des  petites  niaiseries  d’amour-
            propre indignes d’un noble cœur, et qui deviennent un tort grave et
            souvent irréparable, lorsqu’elles  entravent bassement le  génie,  et
            privent la patrie des services qu’il aurait pu lui rendre. L’ancienneté
            est un titre sans doute et un titre très respectable, mais il n’est pas le
            premier. Les armées dans lesquelles on lui a donné trop d’importance
            ont toujours été battues, tandis que celles où le mérite n’a pas été
            invariablement soumis  à sa pâle exigence ont toujours  été
            victorieuses. A mérite égal, elle doit l’emporter.

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