Page 10 - Avant-postes de cavalerie légère
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En 1815, Curely se retira ; son âme n’était pas de celles qui savent
            se ployer ; elle était blessée, malade, elle consuma sa vie, et
            s’envola, il y a peu d’années, pour se réunir à celles de ses nobles
            frères d’arme, morts sur les champs de bataille de l’Empire, ou sur
            les échafauds de la Restauration. Une croix de bois marque la place
            qu’occupe son corps dans le cimetière du petit village qu’il avait quitté
            trente ans avant, comme simple soldat volontaire. Pourquoi la mort
            n’a-t-elle pas  attendu ? Il aurait  secoué la poussière du drapeau
            caché sous sont humble paille. Un champ de bataille, eu jour d’une
            victoire, un étendard pris à l’ennemi, étaient le seul tombeau, le seul
            linceul dignes de lui.

            Curély était pour moi le type du cavalier léger. Pendant trois ans, j’ai
            fait la guerre à ses côtés, et son exemple et ses conseils resteront
            éternellement gravés dans ma mémoire et dans mon cœur. C’est en
            l’étudiant que j’ai jugé tout ce qu’il faut de qualités, pour être officier
            distingué de cavalerie légère ; et si, plus tard livré à moi-même, j’ai eu
            quelques petites affaires heureuses, je les ai dues souvent à l’étude,
            à la présence des souvenirs qu’il m’avait laissés.

            Pour être bon officier d’avant-garde, il ne suffit pas d’être brave et de
            bien commander au  feu ; il  faut y avoir amené le plus  d’hommes
            possibles  jusque là, et les  y présenter dans  le meilleur état, d’y
            donner un coup de collier. Cette seconde partie de notre instruction
            indispensable n’est pas la plus brillante, mais est, peut-être, la plus
            importante ; elle ne s’acquiert pas en garnison et exige une foule de
            conditions.

            Habitude  de  juger  de la  santé  des  hommes  et  des  chevaux ;
            connaissance des prompts remèdes à appliquer dans certains cas ;
            visite journalière et scrupuleuse du harnachement ; connaissance des
            réparations  à y  faire à temps ; visite de  l’équipement et des
            réparations  qu’il  nécessite ; approvisionnement  de tout ce  qui peut
            être utile à l’homme et au cheval, sans  trop  charger le cheval ;
            paquetage bien entendu ; régularité des allures dans les colonnes de
            marche ; bonne assiette des bivouacs, surveillance continue de tout
            ce qui peut y toucher à la santé des chevaux ; indication des moyens
            de se passer momentanément d’un maréchal-ferrant ; théorie de
            l’emploi des outils que renferme une trousse : science de l’à-propos
            pour manger et dormir ; étude du moral des  hommes  sous  nos

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