Page 5 - Microsoft Word - La guerre de pacification.doc
P. 5
5. Alexandrie est presque tout entière minée, et a des canaux
souterrains qui partent du Nil et par lesquels l'eau est conduite dans
les maisons des particuliers, où, avec le temps, elle dépose et
s'éclaircit peu à peu. Les maîtres et les domestiques n'usent
d'aucune autre eau ; car celle qu'apporte le Nil est tellement trouble
et limoneuse, qu'elle engendre toute sorte de maladies : cependant le
bas peuple est obligé de s'en contenter, parce que dans toute la ville
il n'y a pas une fontaine. Or, le fleuve traversait justement la partie de
la ville qu'occupaient les Alexandrins. Cette circonstance donna lieu à
Ganymède de songer qu'il pourrait ôter l'eau à nos gens, qui,
distribués de côté et d'autre pour la défense des ouvrages, allaient
dans les maisons particulières puiser l'eau des puits et des citernes.
6. Ce projet adopté, il entreprend un travail grand et difficile. En effet,
il nous coupa d'abord toute communication avec les canaux de la
partie de la ville qu'il occupait ; ensuite, à force de roues et de
machines, il éleva l'eau de la mer et la fit couler des quartiers
supérieurs dans celui de César. Aussi, bientôt, l'eau qu'on allait
puiser aux citernes voisines parut-elle plus salée que de coutume, et
nos soldats étaient tout surpris, ne sachant d'où cela pouvait
provenir. Il avaient peine à en croire leur goût, quand ceux de leurs
camarades, qui étaient postés plus bas, disaient que leur eau était
toujours de même espèce et de même saveur qu'à l'ordinaire ; ils les
comparaient l'une avec l'autre, et en les dégustant, ils
reconnaissaient combien elles étaient différentes. Mais au bout de
quelques jours, l'eau du quartier le plus élevé ne pouvait plus se boire
d'aucune façon, et celle de la partie inférieure commençait à se
corrompre et à devenir salée.
7. Dès lors il n'y eut plus de doute : la frayeur fut si grande que tous
se regardèrent comme réduits à la dernière extrémité. Les uns
murmuraient de ce que César tardait à se rembarquer ; les autres
craignaient un malheur encore plus grand, parce que, si près des
Alexandrins, on ne pourrait ni leur cacher les préparatifs de la fuite, ni
même atteindre les vaisseaux, s'ils voulaient s'y opposer et nous
poursuivre. Il y avait d'ailleurs, dans le quartier que César occupait,
un grand nombre d'habitants qu'il n'avait pas fait sortir de leurs
maisons, parce qu'ils feignaient de nous être fidèles et d'avoir quitté
le parti de leurs concitoyens. Or, défendre ici les Alexandrins, essayer
de prouver qu'ils ne sont ni fourbes ni trompeurs, ce serait
entreprendre une tâche aussi longue qu'inutile ; car, quiconque a une
11