Page 5 - La guerre des Gaules
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4. Une dénonciation fit connaître aux Helvètes cette intrigue. Selon
l'usage du pays, Orgétorix dut plaider sa cause chargé de chaînes.
S'il était condamné, la peine qu'il devait subir était le supplice du feu.
Au jour fixé pour son audition, Orgétorix amena devant le tribunal
tous les siens, environ dix mille hommes, qu'il avait rassemblés de
toutes parts, et il fit venir aussi tous ses clients et ses débiteurs, qui
étaient en grand nombre : grâce à leur présence, il put se soustraire à
l'obligation de parler. Cette conduite irrita ses concitoyens : ils
voulurent obtenir satisfaction par la force, et les magistrats levèrent
un grand nombre d'hommes dans la campagne ; sur ces entrefaites,
Orgétorix mourut et l'on n'est pas sans soupçonner – c'est l'opinion
des Helvètes – qu'il mit lui-même fin à ses jours.
5. Après sa mort, les Helvètes n'en persévèrent pas moins dans le
dessein qu'ils avaient formé de quitter leur pays. Quand ils se croient
prêts pour cette entreprise, ils mettent le feu à toutes leurs villes – il y
en avait une douzaine, – à leurs villages – environ quatre cents – et
aux maisons isolées ; tout le blé qu'ils ne devaient pas emporter, ils le
livrent aux flammes : ainsi, en s'interdisant l'espoir du retour, ils
seraient mieux préparés à braver tous les hasards qui les
attendaient ; chacun devait emporter de la farine pour trois mois. Ils
persuadent les Rauraques, les Tulinges et les Latobices, qui étaient
leurs voisins, de suivre la même conduite, de brûler leurs villes et
leurs villages et de partir avec eux ; enfin les Boïens, qui, d'abord
établis au-delà du Rhin, venaient de passer dans le Norique et de
mettre le siège devant Noréia, deviennent leurs alliés et se joignent à
eux.
6. Il y avait en tout deux routes qui leur permettaient de quitter leur
pays. L'une traversait le territoire des Séquanes : étroite et malaisée,
elle était resserrée entre le Jura et le Rhône, et les chariots y
passaient à peine un par un ; d'ailleurs, une très haute montagne la
dominait, en sorte qu'une poignée d'hommes pouvait facilement
l'interdire. L'autre route passait par notre province : elle était
beaucoup plus praticable et plus aisée, parce que le territoire des
Helvètes et celui des Allobroges, nouvellement soumis, sont séparés
par le cours du Rhône, et que ce fleuve est guéable en plusieurs
endroits. La dernière ville des Allobroges et la plus voisine de
l'Helvétie est Genève. Un pont la joint à ce pays. Les Helvètes
pensaient qu'ils obtiendraient des Allobroges le libre passage, parce
que ce peuple ne leur paraissait pas encore bien disposé à l'égard de
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