Page 4 - La guerre des Gaules
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valeur les mettait au-dessus de tous, que de devenir les maîtres de la
Gaule entière ». Il eut d'autant moins de peine à les convaincre que
les Helvètes, en raison des conditions géographiques, sont de toutes
parts enfermés : d'un côté par le Rhin, dont le cours très large et très
profond sépare l'Helvétie de la Germanie, d'un autre par le Jura,
chaîne très haute qui se dresse entre les Helvètes et les Séquanes,
et du troisième par le lac Léman et le Rhône, qui sépare notre
province de leur territoire. Cela restreignait le champ de leurs courses
vagabondes et les gênait pour porter la guerre chez leurs voisins :
situation fort pénible pour des hommes qui avaient la passion de la
guerre. Ils estimaient d'ailleurs que l'étendue de leur territoire, qui
avait deux cent quarante milles de long et cent quatre-vingts de large,
n'était pas en rapport avec leur nombre, ni avec leur gloire militaire et
leur réputation de bravoure.
3. Sous l'influence de ces raisons, et entraînés par l'autorité
d'Orgétorix, ils décidèrent de tout préparer pour leur départ : acheter
bêtes de somme et chariots en aussi grand nombre que possible,
ensemencer toutes les terres cultivables, afin de ne point manquer de
blé pendant la route, assurer solidement des relations de paix et
d'amitié avec les États voisins. A la réalisation de ce plan, deux ans,
pensèrent-ils, suffiraient : une loi fixa le départ à la troisième année.
Orgétorix fut choisi pour mener à bien l'entreprise : il se chargea
personnellement des ambassades. Au cours de sa tournée, il
persuade Casticos, fils de Catamantaloédis, Séquane, dont le père
avait été longtemps roi dans son pays et avait reçu du Sénat romain
le titre d'ami, de s'emparer du pouvoir qui avait auparavant appartenu
à son père ; il persuade également l'Héduen Dumnorix, frère de
Diviciacos, qui occupait alors le premier rang dans son pays et était
particulièrement aimé du peuple, de tenter la même entreprise, et il
lui donne sa fille en mariage. Il leur démontre qu'il est tout à fait aisé
de mener ces entreprises à bonne fin, pour la raison qu'il est lui-
même sur le point d'obtenir le pouvoir suprême dans son pays : on ne
peut douter que de tous les peuples de la Gaule le peuple helvète ne
soit le plus puissant ; il se fait fort de leur donner le pouvoir en
mettant à leur service ses ressources et son armée. Ce langage les
séduit ; les trois hommes se lient par un serment, et se flattent que,
devenus rois, la puissance de leurs trois peuples, qui sont les plus
grands et les plus forts, leur permettra de s'emparer de la Gaule
entière.
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