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— Tu n’es pas dans une situation facile, me dit-il pensivement.
            — Oui, ce n’est pas facile.

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            Je restais muet. Mon esprit me portait ailleurs dans le temps et dans
            l’espace. Je retrouvais ma famille, ma maison, ma ville traversée par le
            fleuve, mon travail dans l’informatique à quelques kilomètres de chez
            moi. Je me revoyais marcher dans la rue de Calonne longeant la berge,
            chaque pas était un pas de bonheur, chaque regard que je posais sur le
            paysage me procurait une joie intense. Les arbres me saluaient et me
            faisaient la révérence : ils me tutoyèrent :« Tout va bien, tu as réussi, tu
            es devenu chef de service… » L’eau courante m’offrait sa mélodie
            ininterrompue accompagnant le chant des oiseaux qui psalmodiait un
            hymne à mère nature ou au très haut Créateur.

            Et puis la réalité m’ouvrit les yeux. Un point culminant a toujours deux
            côtés : une montée et une descente, il m’a fallu beaucoup de temps pour
            en faire l’ascension et l’inverse pour descendre et pour chuter.
            En moins de trois ans, la dégringolade s’était mise en marche comme
            un  torrent  dévastant  tout  sur  son  passage :  la  délocalisation  de
            l’entreprise où je travaillais, les conflits de couple, la séparation, le
            chômage,  changer  de  ville,  la  perte  de  ma  maison,  de  ma  famille.
            D’homme je suis passé à ombre d’homme. Trop c’était trop. Le plus dur
            dans cette descente aux enfers c’était d’être séparé de tout ce que j’avais
            aimé, les personnes comme les objets.


            Je devais essayer de faire la politique de l’oubli, de mettre une distance
            sans pour cela en mettre une pour les innocentes victimes, mes enfants.

            Je me retrouvais à plus de 50 kilomètres de chez moi, mais j’avais perdu
            ce dernier, ainsi que mon calme. J’ai payé cher toute cette tourmente.
            Au lieu d’être deux : ma femme et moi, je me suis retrouvé seul. Être
            seul n’est-ce pas la destinée de chacun de nous ? Peut-être, je n’en sais
            trop rien… Peut-être en fin de vie, mais pas en plein milieu. Alors oui,
            ce n’était pas facile, surtout quand mes filles me demandaient de revenir
            chez leur mère, chez elles et mon ancien chez moi.


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