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Jean me regarda plus longuement que d’habitude ; il avait probablement
trouvé sur mon visage quelques signes de fatigue ou d’inquiétude ou les
deux à la fois. De douze ans mon aîné, il en « savait » comme il disait.
Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. Avec
plus de trente ans de bouteille il comprenait plus qu’à demi-mot.
— Problème Luc ?
J’esquivais maladroitement par une question.
— Qui n’en a pas ?
La question contrecarrait une autre question, mais ne résolvait rien. Moi
jeune quadragénaire à la recherche d’un retour à la stabilité, j’avais
l’habitude des problèmes... J’enchaînais par quelques mots anodins afin
de le rassurer.
À vrai dire je ne sais pas qui pouvait être rassuré de nous deux.
Mais comme le dit monsieur Courtois :« C’est la Poste qui nous
nourrit ». Là on pouvait être rassuré. Ce que monsieur Courtois, vu son
patronyme, ne disait pas : c’est qu’elle nous nourrissait quand cela
l’arrangeait. Il suffisait que le haut décide d’éliminer notre service pour
telles ou telles raisons et on basculait ailleurs dans l’incertitude. Étions-
nous rassurés ? À part le nombre d’années d’écart entre nous deux, il y
avait une grande différence sur nos statuts. En effet, pour ce qui est de
Jean il était statutaire. Il était lié à vie pour ainsi dire à cette grande dame
qu’était la Poste. Moi j’étais contractuel, j’avais une échéance dans le
temps et mes jours étaient donc comptés. Le seul espoir pour moi était
d’avoir deux renouvellements successifs et d’espérer le troisième qui
permettait, d’après le règlement, d’avoir accès au titre de statutaire donc
de définitif. L’espoir fait vivre.
Jean avait déniché un bac de grosses enveloppes.
— Allez ici, il y a à voir.
— Mais comment cela est possible ? m’interrogeais-je à haute voix.
— Tu te demandes comment ?
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