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Chapitre I
Cet après-midi-là, l’ascenseur me propulsa au troisième étage du Centre
de Tri Industriel de la Poste.
Comme d’habitude depuis plus de trois mois, j’étais en avance sur mon
horaire. Monsieur Vernier était le grand chef, il était le supérieur de
madame Devos, qui était la cheffe de monsieur Legrand, qui était le chef
de monsieur Courtois, qui était le chef de monsieur Tilmant qui était
mon chef. Et moi, n’étant chef de personne, autrement dit, j’étais sous
les ordres de monsieur Tilmant qui était mon supérieur hiérarchique.
Entre lui et moi, tout en se respectant, on se tutoyait. Quelques minutes
passèrent les 14 heures avant que Jean n’arrivât à son poste. Nous étions
affectés au service des taxes. Notre travail consistait à chercher le courrier
insuffisamment affranchi dans un premier temps, ensuite de le signaler à
son expéditeur. Ce dernier avait la possibilité soit de nous envoyer les
timbres manquants, soit de passer à l’accueil des services qui se situait au
rez-de-chaussée du bâtiment (C.T.I.) pour régler la différence.
Il était clair que ce service apparemment sans importance rapportait des
deniers dans les caisses de la société. On était donc bien vu par le haut,
mais mal vu par le bas étant donné qu’on refilait généreusement du
travail superflu à nos camarades de la distribution. Ceux-là formaient
une équipe à part, tout en étant postiers comme nous. Quand je dis bien
vu par le haut, il faut s’entendre. Il fallait justifier des rentrées
équivalentes à notre traitement mensuel et même les surpasser.
On faisait donc la chasse à tout ce qui était sous affranchi. On pouvait
qualifier notre service de provisoire. Parmi la tournante des trois équipes,
(les trois huit) nous étions Jean et moi les seuls à nous occuper des taxes.
Et ce service pouvait s’effectuer que lors de la pause de l’après-midi.
J’avais quelques enveloppes à la main gauche quand Jean, la main droite
tendue, me salua. Nos mains se joignirent et nos langues se délièrent
sans retenue avec comme sempiternelle parole : « Ça va ? » passant de
la question à la réponse. Seule l’intonation changeait.
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