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Deux
Rencontre inespérée
En effet, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, on ne
badinait pas avec le savoir-vivre et encore moins avec
l’honneur. Julia Henri savait pertinemment que l’amour d’été
qu’elle vivait serait sans lendemain. Elle avait tout juste dix-
huit ans et Aristide dix-neuf. Lui était de passage à Perrotet,
le village provençal de Julia. Ils s’étaient aimés sans contrainte
ni promesse. Quant à se jurer fidélité, cela ne leur traversa pas
l’esprit, pas plus que celui d’assumer une éventuelle paternité.
Liberté de vivre décriée en mai 1968 avec vingt années d’avance !
Le hasard voulut que Julia tombât enceinte. Subséquemment
son père maître de chai chez un riche vigneron en apprenant
son infortune demanda à sa fille de partir. Bannie du jour au
lendemain avec pour seul bagage un simple baluchon, Julia
obéit, elle n’eût d’ailleurs pas voix au chapitre. Elle quitta la
maison de son père, le jour à peine levé en rasant les murs,
monta dans le premier train en partance pour nulle part,
décidée à aller au terminus de la ligne.
***
Trois années plus tard, au cours d’un trajet en train, sans but
précis, Julia était assise en face d’un jeune homme somnolant,
son fils Quentin, déclaré à la maternité de père inconnu, âgé
de deux ans et demi sur ses cuisses, dormait. Le cheveu blond
bouclé, l’enfant était le portrait craché d’Aristide. Lorsque le
contrôleur du train, la moustache hirsute, l’air harassé par son
dur travail de vérificateur de tickets, s’écria d’un ton ferme
qui ne laissait aucun doute quant à son affirmation :
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