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Julia. Les rabatteurs de la moissonneuse tournaient en un
ronronnement régulier entraînant les chaumes vers la barre de
coupe. La machine séparait les grains de leur enveloppe et les
tiges se transformaient en paille pour la litière du bétail.
Pourtant la couleur jaune paille aurait pu laisser présager une
certaine propreté des végétaux, c’était oublier la poussière qui
se dégageait de la coupe des tiges sèches. Le foulard rouge
sur le nez et la bouche, le tissu de protection de Quentin vira,
au fur et à mesure de l’avancée des travaux, au noir anthracite.
Le tee-shirt blanc du début de la matinée formait avec ses bras
musclés un smoking haute couture. Quant à la casquette
rouge, elle devint couleur cendre froide. L’avant-dernière
parcelle coupée, rasée, les tiges coiffées en brosse, Quentin
roula sur la RN 3 précédé par le tracteur conduit par Julia.
Julia Robert, née Henri, petite femme d’un mètre soixante,
cinquante kilos tout habillée, le cheveu court qu’elle coupait
elle-même depuis la nuit des temps, la peau halée et ridée des
travailleurs au grand air, les mains calleuses à la poigne de
fer ; elle ressemblait d’avantage à une femme d’une
soixantaine d’années bien tassées qu’à une jeune femme de
quarante-sept ans.
Fatiguée, veuve, elle n’aurait toutefois pour rien au monde
abandonné cette vie paysanne, si pénible fut-elle et son fils
naturel encore moins. Julia avait été aimée de deux hommes.
Son défunt mari François Robert, qui lui légua le corps de
ferme et les terres, et Aristide Pelletier, le père biologique de
Quentin. À présent elle aimait Étienne. Fallait-il encore
qu’elle se décide à vivre avec lui ?
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